ÉlectionSSS mexicaines / LFM : chassés-croisés


Trois candidats du parti Morena pour trois élections (sénatoriale, présidentielle, législative) 


    Le Mexique retient son souffle de tous ses poumons. Dimanche 2 juin 2024, il va connaître les plus grandes élections de son histoire : présidentielle, Congrès et Sénat, neuf gouvernorats sur 32 Etats, et une myriade d’élections locales. Un peu plus de 20.000 mandats sont à pourvoir au total, nombre favorisé par le fait qu’ici on ne peut être élu deux fois de suite pour le même mandat. Ainsi le président actuel, André Manuel López Obrador (AMLO), est-il passé de maire de Mexico à Président de la République et doit-il maintenant céder sa place – certains disent qu’il garderait discrètement les rênes du pouvoir si la candidate de sa coalition MORENA (MOvimiento de REnovación NAcional), Claudia Sheinbaum (qui suivrait le même parcours que lui), remportait le scrutin.

 

Claudia versus Xochitl

Ce qui est quasiment sûr, c’est que le Mexique devancera la France côté femme à la Présidence : si ce n’est pas la candidate de la coalition style "gauche plurielle" nationaliste qui l’emporte, ce sera celle de la coalition du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI, une trouvaille mexicaine en soi...)  le « 3e (et seul) homme » en lice (candidat d’un de ces énièmes mouvements "Citoyens" qui apparaissent un peu partout dans le monde) ne semble pas avoir plus de dynamique que son spot promotionnel (qui n’a rien à envier à une pub pour bagnole...). Au pays des féminicides à outrance, ce sera un étrange paradoxe...

Témoin de cette valeur féminine qui prend de plus en plus d’importance ici, CE candidat qui part sous les couleurs du parti local MUJER (= FEMME) (quand on trace une croix sur un nom de parti, c'est qu'on invite à voter pour lui) :

                                     

Ou ce slogan qui, tout de même, laisse pensif :

                       

« Laura, une femme comme Claudia »...

La campagne d’affichage a débuté dès la mi-mars, et comme les panneaux électoraux ne semblent pas exister ici, c’est tout le mobilier urbain qui y passe :

                                                       

Et les murs aussi, parfois sur des dizaines de mètres, et à la grosse peinture à l’huile :

Les fenêtres, terrasses et murs extérieurs des particuliers sont aussi mis à profit, ce qui fait que tout le monde sait à peu près pour qui vote tout le monde...

Sur Mexico, la question de l’approvisionnement en eau s’est invitée dans la campagne : des quartiers sont déjà sous restriction, et s’il ne pleut pas abondamment dans les semaines qui viennent, fin juin promet d’être critique :

                                          

"De l'eau pour tou.te.s "

Si cette affiche (comme d’autres, heureusement) a du contenu, d’autres en revanche laissent franchement rêveur, voire désarçonnent. Ainsi c’est sûr, il faut voter pour l’imparable Giovani :                                            

L’indétrônable "Du sérieux, du solide, du vrai" de Raymond Barre en son temps est définitivement détrôné – par un slogan qui fait une vive concurrence à celui du menu « irrésistible »  de McDo, ou mieux à celui des protections féminines TENA, elles aussi « imparables »  … :

                                 

. Il faut voter aussi pour la femme bionique comme sortie d’une BD :

                                

Ou pour celle qui, d’un sourire et d’un geste brutal, t’intime l’ordre de lui donner ta voix :

                                     

Ou encore pour celle qui doit avoir des actions chez Colgate et n'a que ses blanches dents pour argument de vente :

Là, un Français croirait des pubs pour les pneus Midas (des pneus pas à la con ! ) :

Tiens, la probable future maire de Mexico propose deux pneus pour le prix d’un : 

                                 

Mais le top du top, c’est celle-là : 

                                

Si je traduis, le slogan de Lia Limon, c’est "PLUS DE CITRON" ... (limon = citron). C’est quasiment agressant d’être confronté quotidiennement à ce degré zéro de l’appel à intelligence... Malheureusement, cela dit quelque chose d’une partie de la société mexicaine – au moins d’un manque de culture politique et d’information… Cela explique que les dirigeants puissent faire des déclarations parfois hallucinantes  – AMLO énonçant par exemple avant un référendum dans le Yucatan sur le Train Maya que ce projet n’entraînerait la coupe d’aucun arbre (ce sont des centaines de kilomètres qui ont été abattues), ou que le Mexique possède le meilleur système de santé du monde (il est bon selon mon expérience, mais aux urgences une collègue a passé trois jours sur une chaise avant d’être prise en charge, et la mère d’un collègue est restée dix jours dans une salle avec dix personnes avant d’être opérée, malgré ses 83 ans – elle a fini en crise de délire...)

Mais le plus terrible est peut-être le slogan de Morena « amor al pueblo » ("amour pour le peuple"). Il se décline à l’écrit, et par toutes les affiches des candidats arborant ce joli signe des mains tout droit sorti d’une série amoureuse pour ados :           

C’est le summum des confusions. Quand j’étais en Guyane, un maire qui faisait lui aussi d’épiques déclaration d’amour à son électorat a fini en prison pour détournement de fonds publics. Ceci dit, ce slogan dit bien une réalité : on « aime » le (vote du) peuple, mais on n’est pas le peuple – comme partout, il y a ici une belle gauche caviar, qui scolarise ses gosses dans le privé : en arrivant au Liceo Franco-Mexicano (LFM) en décembre, j’ai découvert que la grosse affaire était les suites d’une bataille entre le fils d’un des candidats à la primaire de Morena, et le fils du maire par intérim de Mexico du même parti, mais d’une tendance opposée...

AMLO a fait de vraies mesures sociales (il reste bien à faire, on va le voir), mais il achète aussi les petites gens avec bien peu : l’an dernier, les personnes de Xochimilco que je connais sont revenues ravies d’une manif en sa faveur avec un petit sac de riz, un petit sac de frijol (haricot rouge) et 50 pesos (= 2,50 €, le prix de quelques brioches) ... Et on va chercher les voix dans tous les milieux : côté communauté LGBT par exemple (oh ! les p'tites fleurs, trop mimi...) :

Ou côté peuples indigènes (ça me rappelle Fabius troquant sous Mitterrand son costard-cravate pour un blouson de cuir à l’occasion d’une visite au Creusot...) :

                                      

Mais je me trompe : le plus terrible ne sont pas ces confusions ; le plus terrible, le plus triste, le plus inquiétant et le plus caractéristique de ces élections Mexicaines, ce sont les dizaines de meurtres de candidats dans les provinces : là où ils sont les plus puissants, les narcos font régner leur loi par la terreur et imposent leurs têtes... en coupant celles des autres.

***

En attendant les résultats, le pays est comme engourdi, en suspension sur bien des points : non seulement parce que s’il y a un changement de majorité dans le pays, cela va impacter tous les niveaux de décision (beaucoup de  projets sont à l’arrêt). Mais aussi parce qu’en cas de nouvelle couleur politique à un échelon ou à un autre, ce sont des dizaines, des centaines ou des milliers de personnes qui perdront leur emploi : ce qui chez nous est négativement appelé « chasse aux sorcières » est ici inscrit dans les mœurs... C’est qu’il est inscrit dans les mœurs que les travailleurs soient, en gros, traités comme du bétail. Ainsi Cécile, une enseignante française qui a travaillé de nombreuses années au LFM (aux programmes français mais à la gestion mexicaine) a-t-elle appris lors d’une réunion en juillet qu’elle était virée ! Motif : elle déplaisait à la mère de Marti (et à la directrice actuelle), ce petit gamin bagarreur et insolent (je l’ai viré plusieurs fois de la classe quand j’ai remplacé son prof), fils de l’actuel maire par intérim de Mexico... J’en fais moi aussi l’expérience : non seulement on m’a clairement menti quand un m’a embauché avec un contrat local en me faisant miroiter pour la rentrée prochaine un poste de détaché qui n’existe tout simplement pas (il a fallu quatre courriels de ma part et cinq mois pour qu’ils l’admettent enfin), mais on m’a annoncé fin mai que je ne serai rémunéré que jusqu’au 5 juillet, alors que fin avril on m’avait écrit que l’été me serait payé... le tout avec pleins de points d’exclamation « chaleureux » : Christine (qui vit ici depuis quarante ans) me disait que la même personne pouvait être absolument charmante et le lendemain te planter un couteau dans le dos ; j’ai eu le privilège d’avoir les deux à la fois !... À la relecture, un petit évènement prend pleinement sens pour moi maintenant : le 1er décembre 2023, alors sur je venais de « signer mon contrat » (un contrat collectif dont je n’ai pas eu le texte...) et que je lisais tranquillement les passionnants affichages du métro à proximité du siège du LFM, un homme d’environ 65 ans m’aborde et me dit : « Excuse-moi de te déranger, je suis gay, tu as un beau visage, tu veux passer la nuit avec moi ? Je paie l’hôtel ». Ah, ouf, je craignais qu’il ne me demande ma bourse... Je l’ai gentiment remercié et calmé dans ses ardeurs, mais son intervention venait me dire que je m’étais engagé professionnellement sur une pente pleine de confusion... J’ai hâte de retourner sur un chemin clair et droit.

(Pour nous les enseignants, c’est pas la joie, mais pour le personnel technique, c’est quasiment de l’esclavage : 48 heures de travail par semaine ; un jour on te dit que tu aurais dû rester à la maison car tu es malade, un autre on te retire des jours de salaire car tu es resté à la maison car tu étais malade – témoignage de J., avec laquelle j’ai travaillé).

 Mais revenons aux élections avec cette affiche que je trouve bien vue :  

                   

"Ne pas voter, c'est se taire. CRIE !"

Elle vaut pour tous les pays.

 

























































Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

BÉNIN : un GLOBAL UNDERSCORE historique

La TUNISIE sans concessions, saison 3 : ombres et lumières, thérapies et Evangiles, mensonges et ouverturfois es

Lagos, NIGERIA : un p'tit tour et puis s'en va