Oaxaca : bruits, arbre, montagnes et histoire
La ville m'a d'abord rebuté : encore plus de nervosité
et de bruits qu'à Mexico (circulation effrénée, coups de klaxon à tout bout de
champ, parfois insultes entre conducteurs, annonces publicitaires
radiodiffusées par des véhicules dès 7 heures du matin...).
Clin d'œil de bienvenue tout de même : le soir en arrivant à
mon auberge, je suis reconnu et embrassé par Ana, avec laquelle nous avions,
quatre jours plus tôt, improvisé un court pas de deux lors de la présentation
publique du projet Intimidades radicales ! Décidément, danseurs et danseuses
me poursuivent au Mexique…
J'ai
commencé à me réconcilier avec la ville en découvrant ses uniques spécialités
de chocolat à boire et à croquer : fait sans beurre de cacao, seulement avec de l'eau, ce qui fait ressortir ses arômes fruités et épicés.
Puis j'ai été séduit par la double place du Zócalo et la large rue piétonne la reliant au vaste ex-couvent dominicain reconverti en Jardin ethnico-botanique (cela a failli devenir un parking...) et en Musée des cultures de Oaxaca (de l'Etat de Oaxaca, et pas uniquement de la ville) :
Au Museo de las culturas, on ne s'est pas remis des traumatismes récents, à moins qu'on ne les entretiennent... Il y a heureusement des pièces plus sympathiques :
De l'exposition Una larga hebra...el encuentro, sur le phénomène (ici massif) du féminicide
Le double cloitre du couvent St-Dominique, exceptionnel
Presque séduit aussi par le fourmillement de vie des places et des rues alentour – mais cela vire en fait à l'étourdissement, c'est l'ambiance du festival d'Avignon multipliée par trois (au moins...).
M'est
revenue ce que me disait l'an dernier un prof de théologie mexicain, pour
lequel il y avait dans son pays un fond de dépression psychique masqué par une
frénésie et une exubérance de façade... Cette phrase aussi a fait sens la
semaine suivante, lue dans le livre que Christine m’a offert au retour des
vacances :
« Pouvoir dispersé égale bruit. Pouvoir concentré
égale silence. »[1]
En tout cas, ne faire que passer par toute cette
effervescence m'a suffi. Je suis allé découvrir quelques-unes des richesses
alentours, dans des cadres plus tranquilles.
* À
10 kilomètres est MONTE ALBAN, sans doute le plus ancien et vaste complexe
urbain de toute l'Amérique centrale, installé sur une plateforme taillée dans
la montagne à un peu plus de 1900 mètres d'altitude à partir de 500
avant Jésus-Christ (bien avant le Parthénon donc). Le site domine la vallée de
Oaxaca d’environ 400 mètres. Je l'ai trouvé splendide, et c'est sans doute le
site archéologique mexicain qui m'a le plus touché, peut-être par sa
localisation montagneuse. Sur la vaste plateforme sud, j'ai eu la surprise,
alors que je finissais de danser les lettres hébraïques, de découvrir un vieux
monsieur et une jeune femme qui s'étaient mis eux aussi à leurs mouvements...
Mais ne sont pas sans intérêt ces personnages (émasculés ? porteurs de
handicaps ? prêts à être sacrifiés ? dansants ?) :
Ou encore ce crâne recouvert de turquoise trouvé dans une tombe (et exposé à Oaxaca) :
* À 15 km de la capitale, dans la direction opposée, se
trouve EL TULE ["tulé"] et son arbre immense, peut-être le plus grand du monde (dit-on
ici), pouvant accueillir sous ses branches plus de cinq-cents personnes et
ayant entre 1500 et 3000 ans !
* En poursuivant, à un peu plus de 30 km de Oaxaca, on peut découvrir ce qui fut sans doute le plus ancien village zapotèque (le peuple majoritaire dans la région) : TEOTITLAN DEL VALLE.
Les noms des rues y sont d'abord indiquées en langue zapotèque puis traduits en espagnol. Mais devant mon étonnement de trouver en plein pays
de parler zapotèque un nom de village en náhuatl, Iván et Luis m'expliquent à l’office de
tourisme que Teotitlán ("le lieu des dieux") est la
transcription approximative de Xiguie’e (« le lieu enchanté »)
en zapotèque[2], transcriptions que les
Espagnols ont trouvé dans les registres des Aztèques et qu'ils ont conservé (toute la région avait été soumise et devait à l'époque payer un lourd tribut à
l'empire des Mexicas).
Le plus intéressant pour moi est ici l'église, exceptionnelle par son intégration, dès sa conception à l'époque coloniale, d'éléments du temple zapotèque d'origine à l'emplacement duquel elle a été construite. De toute évidence, il y a eu le (rare) soucis que les populations puissent faire le lien entre leurs coutumes d'origine et le nouveau culte chrétien imposé par les conquérants européens.
Teotitlán : c'est là aussi que j'ai découvert le fameux tejate, boisson froide typique de la région faite d'un mélange de pâte de maïs, de cacao et d’amandes ; et l'absolument délicieuse mango piña, la mangue verte à la saveur d'ananas. Sur le marché, j’entends pour la première fois en directe des commerçants parler en zapotèque, l’une des principales langues originaires du Mexique – cela me semble avoir a un goût de japonais…
Teotitlán
enfin : c'est par là qu'est passé mon chemin pour aller marcher entre les Pueblos
mancomunados, plus de mille mètres plus haut. C’est la prochaine étape…
[1] « Silence étant synonyme de pouvoir, quand nous atteignons le lieu du
silence dans notre pensée, nous sommes à l’endroit du pouvoir, où tout n’est qu’unité,
un seul pouvoir, Dieu : "Soyez silencieux et sachez que je suis Dieu".
Pouvoir dispersé égale bruit. Pouvoir concentré égale silence » (Baird T.
SPALDING, La vie
des maîtres. Dans l’Himalaya vivent des sages aux pouvoirs prodigieux,
Paris, J’ai lu, 2023, p. 36).
[2][2] Une autre dénomination du village en zopotèque est Xaguixe, qui signifie « au pied de la
montagne », mais cela ne concernerait en fait qu’un lieu précis et non
tout le village. Iván me précise qu’aujourd’hui, il y
a un accord dans la communauté locale autour du nom de Xiguie’e comme
dénomination d’origine. Je trouve intéressant que la communauté villageoise se
réapproprie une partie de son histoire en retrouvant son nom.
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