Au revoir pays des Mayas, hola océan Pacifique !

Une superbe course en vélo et sous tente de plus de 500 km le long de la côte Pacifique a commencé un dimanche matin vers 7h en tombant du bus à Pochutla... pour se finir en tombant (quasiment) en amour avec Acapulco, ville mythique hautement décommandée sur le site de notre Ministère des Affaires étrangères. Décidément, nous sommes vraiment en désaccord, les officiels et moi !

Étape 1 : Zipolite et son festival de naturisme. Un superbe corps de femme aux lignes pures, à la peau indemne de toute pilosité et délicatement basané à la mode locale ancestrale : je voyais pour la première fois ces lignes que j'avais croquées sur une grande feuille Canson quand j'avais 15 ans ! Quelques corps entièrement peints aussi. 
Mais c'est dans la petite église plus que modeste (une grosse baraque) qu'a eu lieu pour moi la plus forte expérience : on m'avait annoncé une messe à 11h. À l'heure dite, aucun curé...il doit être en retard... une femme se lève au premier rang et lance l'affaire, elle doit en avoir marre d'attendre...le prêtre n'arrivant toujours pas, elle nous fait toute la messe (à l'exception de la consécration), pardon, sermon et communion inclus ! Dora est diacre, elle fait exactement ce que faisaient ma mamie Paulette et mon amie Simone dans leurs communautés protestantes, mais ici, dans ce village du bout du monde loin des frasques touristiques, dans l'église catholique d'un pays latino, c'est trop beau ! Je suis tellement touché que je me propose pour faire une des lectures (une première pour moi en espagnol), et que je romps mon serment fait depuis mon triste passage à ND de Guadalupe en septembre - je glisse quelques pesos dans l'urne lors de la quête. Je suis bien récompensé : on joue les prolongations pour cause de proximité de la Candelaria et on nous offre le repas !
Dès le soir, mon nouvel équipement prend du service. Au loin, le grondement sourd et continu de l'océan, présence berçante.
Étape 2 : Puerto Escondido
Pause pour passer 24h avec David. En allant rejoindre une petite plage urbaine belle comme tout, je repère un immense bâtiment qui oscille entre les airs d'un entrepôt industriel et celui d'un lieu de culte inachevé : on m'indique le soir que c'est la cathédrale de la ville, inachevée, ouverte aux quatre vents et où se célèbrent les offices dans un vaste volume de béton brut. Fascinant. 
Le soir, lors de la communion, je repère un petit gars qui s'avance en courant et en riant - ah ! si nous étions tous comme Pedro ! Il ne trouve rien de mieux, à la fin, que de monter sur un vélo trop grand pour lui et... d'atterrir directement dans mes jambes ! Sa mère m'indique que Pedro est servant de messe et qu'il adore cette fonction - oui, j'avais remarqué !
Étape 3 : la plage aux eaux turquoises

En arrivant sur une plage le lendemain de mon départ de Puerto Escondido, je suis saisi par les transparences turquoises créées par la lumière à travers l'eau des vagues avant leur devers sur le rivage. J'essaie d'en capter la beauté.
Un jeune homme m'y indique que dans l'État de Guerrero où je vais entrer bientôt, il n'est plus question de rouler de nuit, comme je le fais ici, c'est trop dangereux (risques d'être attaqué).
Le soir, je plante le long d'une clôture...et découvre au matin mon excellent voisin de champ !
Étape 4 : El Parque Nacional Lagunas de Chacahua
Sur la route, le cadeau de mangues toutes mûres tombées de l'arbre juste pour moi ! Sauf cette toute petite, tombée à pic :
Quelques coups de pédales et une traversée en bateau plus loin, et me voilà dans le Parque Nacional Lagunas de Chacahua, le plus ancien des écosystèmes tropicaux protégés du Mexique (dès 1937), dont la richesse et la beauté étaient reconnues bien avant l'arrivée des Espagnols (en mixteca, la langue préhispanique locale, chacahua signifie "là où abondent les crevettes"). Une franche beauté, des plages de sable blanc désertes : cela valait la peine d'y faire un détour, puis de planter la tente à deux pas de l'océan.
Les Lagunas de Chacahua font partie de la Costa Chica, ce petit bord de mer où vivent de nombreuses communautés afromexicaines, qui se sont plus où moins mélangées aux autres populations et qui revendiquent leur identité propre. Le lendemain en quittant le parc, Elena me permet un simple repas dans son "restaurant-bar" sis au pied de cet arbre magnifique et magnifiquement ombrageux et frais : 
Après avoir quitté son mari (qui vit à quelques dizaines de mètres avec leurs trois enfants), elle s'est installée dans une baraque en bordure de route et, contre la patente annuelle de 120 $ (6€), fait tourner à coup de four au bois et de caisses de coca et de bières le seul petit établissement du village - une planche de bois entourée de chaises. Elle rêvasse plus ou moins d'aller tenter sa chance à Gringolandia, je lui dis que selon moi sa vie est bien meilleure ici... Elle ne dit sans doute pas non, allongée dans son hamac dès qu'elle a fini le service. Le temps d'un repas, j'ai vu une bonne partie des célibataires (ou des hommes mariés) du coin s'arrêter pour faire la causette et boire un coup...
Le soir, arrêt dans une station-service après une bonne ascension. Marco, le gardien, surveille mes affaires pendant que je vais croquer quelques tacos végétariens, puis me parle : attaqué violemment dans les Lagunas de Chicahua alors qu'il y livrait des matériaux, il a perdu le salaire de ses jours d'invalidité. Du coup dégoût, démission et ce nouveau travail, où en échange d'une nuit complète de 12h tous les deux jours, il gagne 2400$/mois (120€)...

Étape 5 : Bike on the road

Le lendemain, je passe la frontière de l'État de Guerrero. Depuis Mexico, Ricardo veille et m'envoie coup sur coup trois messages oraux : "sois très prudent, il y a des narcotrafiquants partout dans cet État, ne roule surtout pas de nuit". Ok ! Repas dans une cantine de rue (où une jeune fille n'en revient pas de rencontrer un Français et veut tout savoir sur mon pays - ouverture plutôt sympathique sur les gens d'ici !), puis direction immédiate : le champs au bout de la rue et ses grands épis à même de camoufler ma tente. Cela m'évite de traverser la ville et d'être éventuellement repéré.


Les narcos, pas encore, mais  l'accélération brutale le long de la route du nombre des petites chapelles signalant entre un et quatre morts m'indique que la conduite nocturne est particulièrement mortifère en Guerrero... Autant d'occasions de prières... J'ai bien fait d'être à l'écoute.

 On croise aussi, dans les quatre-vingt derniers kilomètres, nombre de dépouilles de chiens en décomposition - autant de moins à me casser les oreilles et à m'attaquer (il n'y a qu'eux qui l'ont fait). Deux se sont pris sur le museau des coups de fouet que je suis obligé d'avoir maintenant avec moi, coincé dans les câbles du vélo ; un autre un bon coup de pied dans la gueule, et un quatrième un coup dans la tête qui l'a envoyé bouler dans le fossé, non mais ! Le dernier soir, trois molosses m'ont vertement assailli. J'ai mis pied à terre, et à l'un que je sentais bien, j'ai parlé en lui disant que les autres étaient méchants mais que lui était gentil et que donc il allait cesser ses cris. Il m'a écouté...et s'est exécuté ! Sauf que le lendemain, me voyant repartir sur mon vélo, il s'est à nouveau joint aux deux autres pour me courser - et la chienne du lot m'a légèrement égratigné la cheville gauche, par derrière car ces animaux agissent généralement en traître. Cela m'a rappelé la terrible histoire entendue aux informations quand j'avais une dizaine d'années : une grand-mère dévorée par ses deux bergers allemands. Ou encore ces enfants défigurés à coup de crocs... Qui donc a bien pu décréter que ces saloperies pouvaient être le meilleur ami de l'homme ? Il s'agit peut-être de s'entendre sur ce qu'est un ami... Pour moi (et pour beaucoup), le meilleur ami des humains, c'est le plus petit des félins, cette œuvre d'art comme l'a si joliment exprimé Léonard de Vinci. Le voici :

Pour ma dernière nuit de vadrouille, juste avant Acapulco, je trouve refuge (comme avant Progreso, vers Mérida) dans le fond d'une vaste piscine désaffectée, élément d'un ensemble hôtelier côtier jamais achevé... Le matin, j'y découvre les restes de ma voisine - à l'image des deux vieilles folles avares qui, la veille, ont voulu m'extorquer... 

J'ai une petite préférence pour mon ancien voisin de champ !
Et toujours à deux pas, l'océan, son bourdonnement incessant qui me berce et sa plage où, le matin, je danse les lettres hébraïques avant de me jeter à l'eau !

Tout le long de cette virée, je me suis fait une sorte de cure de pastèque : un demi-fruit suffisait pour me désaltérer et me remplir le ventre l'espace d'un repas, avec le plein d'énergie à la clé sur le vélo. 

Me voyant croquer à pleines dents sans rien laisser de chair, une vendeuse me dit : "Ah oui ! Tu sais donc que la partie blanche de l'écorce est excellente pour la santé, qu'elle elle renforce l'immunité !" Elle me l'apprend, je vous le partage. Le jour suivant, une autre confirme : "Oui, un de mes clients m'achète des pastèques uniquement pour la partie blanche, il donne le rouge à ses enfants. Il a la cinquantaine, et sa femme est très contente des résultats matrimoniaux !"

À explorer donc, sous toutes ses formes...

 Mais après les pastèques, à moi les poissons et les fruits de mer d'Acapulco.

Un projet de retour stable dans le Yucatán, patiemment élaboré durant ces deux mois, s'est évaporé en un soir à Acapulco (le directeur de la toute nouvelle école française de Mérida m'avait proposé de suivre un groupe de cinq à six élèves de lycée en étant payé directement par les parents mais en bénéficiant d'un contrat permettant le renouvellement de mon visa ; quand je lui ai demandé du concret fin février, il n'y avait plus qu'une seule élève et plus du tout de contrat pour le visa - vive la République, vive la France !). Mais l'envie d'animer le groupe local de la danse planétaire du 24 juin (Global Underscore) devrait déjà m'y ramener autour du solstice d'été.
En attendant, je ressors de ce périple de deux mois avec la validation d'une étude scientifique internationale en double aveugle dont m'a ait part Eulocio en janvier : pour pouvoir bien vivre, il a été prouvé qu'un être humain a besoin d'au moins douze sourires par jour... ! Avec toutes les rencontres et les signes de sympathie et de bienvenue reçus sur mon vélo ou les deux pieds sur terre, je vis mieux maintenant qu'avant ! 
J'ai même fini par me rendre compte que la plupart des coups de klaxons qui m'ont accompagné depuis le début de ma course étaient non pas des agressions de chauffeurs agacés par la présence d'un vélo, mais bien des salutations amicales - c'est la manière de communiquer de personnes particulièrement relationnelles enfermées dans une cage de fer. Cela m'est devenu clair quand j'ai vu qu'ils étaient généralement accompagnés d'un signe de la main, d'un mot sympa ou d'un large sourire.

Merci !

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