Quitté
Mérida, la très amoureuse des arts et la très civilisée (poubelles partout dans l'espace public, trottoirs plats faits pour les piétons, bien loin des montagnes russes de México où les sorties de véhicules rythment leur physionomie, etc.), dimanche soir dans la nuit, après la pluie ; trouvé un endroit pour planter la tente 25 km plus loin, un peu à l'écart des amoncellements de dépôts sauvages d'ordures qui peuvent envahir la campagne (comme au début des années 1980 chez nous) ... pour arriver vers 13h lundi dans une petite cantine populaire d'un village : une grand-mère arrive tout sourire et
me parle directement en maya en me tapant sur l'épaule ! Elle m'explique ensuite en riant et en parlant toute gorge déployée que c'est sa langue. Quelle merveilleuse entrée dans la rencontre avec ce peuple aujourd'hui réparti entre le Sud du Mexique (États du Yucatán, de Campeche, du Quintana Roo, de Tabasco et du Chiapas), le Honduras, le Belize, le Salvador et le Guatemala (où l'on vient de découvrir une structure urbaine enfouie sous la forêt, grande comme trois fois Paris et regroupant mille sites reliés par des routes !).
Je suis à des années-lumière des "amigo" et des mots en anglais que j'allais parfois entendre dans les villes touristiques où je passerai, qui signaient l'assimilation de l'Occidental à un porte-monnaie ambullant.
La propriétaire de la cantine se trouve être aussi celle de l'installation touristique abandonnée (dévastée par des voleurs durant l'épisode C19) que j'avais explorée un peu auparavant, descendant un escalier de bois branlant jusqu'à la limite de l'obscurité : elle me confirme que c'est bien un
cenote, ces trous ou grottes en partie remplis d'eau, éléments accessibles d'un immense réseau souterrain circulant dans tout le relief karstique du Yucatan, souvent par le passé la seule ressource hydrique. Certains
cenotes ont pu servir de refuge à plus de deux mille personnes fuyant la conquête espagnole aux XVI
e et XVII
e (
les Mayas, malgré la chute de la plupart des grandes cités de leurs Etats avant l'arrivée des conquistadores, sont ceux qui ont donné le plus de fil à retordre aux Espagnols, pendant des décennies - la dernière cité maya a résisté jusqu'aux années 1690 !). C'est sans doute l'origine des croyances de certains en l'existence actuelle d'un peuple maya infraterrestre...
Le soir, lors d'une pause dans un village sur la route de Chichen Itza, je mange un bout au milieu de gamins jouant très joyeusement dans une langue que je ne connais pas. Il n'y a donc pas que la mamie de midi : ici (contrairement à Mexico où le
nahuatl a presque complètement disparu),
on parle largement au quotidien la langue d'avant la conquista. Quelle bonne nouvelle pour moi ! Les panneaux d'entrée de villages ou les plaques signalétiques bilingues que je repère ici ou là, en maya d'abord, en espagnol ensuite, sont donc loin d'être des éléments folkloriques (comme souvent malheureusement dans le sud de la France).
Avec David, retrouvé à
Valladolid, nous commençons par la visite du site d'
Ek Balaam : celui de Chichen Itza est inaccessible du fait d'une grève (j'y suis passé en vélo et j'ai dû négocier ferme pour franchir les barrages). Splendide, avec le droit de monter sur les monuments, bas-reliefs et statues remarquables et vue sur la canopée.
Le
11 janvier, j'avais besoin de solitude, d'eau (piscine de l'auberge) et d'une belle visite : ce fut celle de l'ancien monastère de Valladolid, bâti sur un site maya (avec son
cenote donc). C'est là que, pour la première fois, j'ai entendu parler de la
Guerra de Castas (la Guerre des Castes) - nous la retrouverons bientôt, mais disons tout de suite qu'elle commence à la même époque où
les vélléites indépendantistes du Yucatan ont accéléré le processus de constitution d'un État mexicain fédéral.
Au matin, Maria qui nettoie le dortoir m'apprend mon premier mot en maya : diosbotík, merci - cela tombe bien, mon amie Chrystel vient de m'écrire que le 11 janvier est la journée du remerciement !
Le lendemain, mon bus était à 12h32 pour rejoindre David à Playa del Carmen...mais
Chichen Itza venait de réouvrir après dix jours historiques de grève ! (Le bus de David, la veille, avait été très retardé par une grève des chauffeurs de taxis protestant contre l'arrivée de Uber dans la péninsule - on se croirait en France...). J'y fonce par le premier
colectivo trouvé et m'offre plus de deux heures et demie sur ce site exceptionnel et merveilleusement restauré. Et exceptionnellement très dépeuplé de touristes ce jour-là, un privilège...
Viva la huelga! J'en connaissais, comme à peu près tout le monde, la photo de
la grande pyramide de Kukulcán (le dieu Serpent à plume) :
Mais le reste du site est immense : il s'agissait là de la capitale du plus grand État maya au début du deuxième millénaire (ère chrétienne). J'ai eu le temps de tout parcourir.
Là, un des panneaux de tir de l'immense esplanade des jeux où s'affrontaient deux équipes pour le juego de la pelota dans la langue des envahisseurs (jeu de la balle dans la notre). C'est l'ancêtre du handball, mais avec une toute autre dimension.
Les Mayas maîtrisaient la vulcanisation et faisaient des balles rondes.
Le capitaine de l'équipe vaincue (ou victorieuse ? car cela aurait été un honneur...) se faisait trancher la tête par le capitaine adverse, son sang était répandu sur le sol et sa tête empalée dans une niche dédiée... Cela, c'est l'histoire officielle telle qu'elle fut racontée par les colonisateurs espagnols. "Tu crois à l'histoire écrite par les Espagnols pour justifier la violence de leur conquête. Moi, je crois à l'histoire comme me l'a transmise ma grand-mère" me confiera un peu plus tard une autre Maria, sans doute une criolla aux traits absolument amérindiens, rencontrée à l'inauguration de l'exposition Matisse de Mérida le 25. Et dans cette histoire orale qui remonte à avant la conquête, il n'y a qu'un jeu de ballon, aucune tête coupée ni de sang répandu... Comme le franciscain Diego de Landa a fait brûler en 1562 la plupart des livres mayas dans un "bel autodafé" comme dirait le Candide de Voltaire (seuls quatre codex en ont réchappé, ils sont toujours en cours de déchiffrage) et que l'historiographie dépend essentiellement des écrits de Landa pour connaître les mœurs et coutumes des anciens Mayas, difficile d'y voir bien clair...
En tout cas, l'immense terrain du juego de la pelota est un lieu sacré et rituel car le jeu de la balle maya est en fait une vraie cérémonie religieuse et symbolique.
Il représente la lutte permanente de forces contraires, de concepts antagonistes et d'élément naturels opposés. Les parties avaient pour but de maintenir le cycle de la vie. Dans la mythologie maya, chaque soir les astres descendent dans l'inframonde où résident les "morts" et luttent avec succès contre les forces involutives de l'obscurité. Puis ils remontent chasse matin, garantissant ainsi la vie sur terre. Les mouvements de la balle symbolisent ceux des astres, et le jeu représente la régénération continuelle de la vie à travers la mort. On pourrait saisir que, de la même façon que les épis de maïs sont coupés pour nous nourrir, des personnes aient la tête coupée pour assurer la régénération de la vie (d'autant que selon les Mayas, les humains sont intrinsèquement liés au maïs, nous y reviendrons dans un prochain article). Quoiqu'il en soit, l'importance de ce jeu était si grande que certains rois se faisaient appelés "joueurs de pelota" (et s'ils perdaient, leur coupait-on la tête ? Rendez-vous à "Sur uh luumil mayaoob", épisode 4).
Un goût certain pour les têtes coupées ? Là, ce seraient celles des ennemis, joliment agencées :
Maria me fait la remarque suivante : " Si dans quelques siècles on trouvait, parmi les vestiges de la civilisation chrétienne, des crucifix un peu partout dans les lieux de culte, on pourrait en conclure que les Occidentaux passaient leur temps à crucifier des personnes pour plaire à Dieu. Rien ne nous donne de façon certaine le sens de ces têtes." C'est vrai que mon premier mouvement a été de les associer avec les squelettes - et surtout les "têtes de morts " joyeuses - qui envahissent de leurs couleurs l'espace public pour le
Dia de Muertos...et qui nous parlent de la vie après la Terre...
Là, des glyphes de l'un des systèmes d'écriture (complexes) des Mayas :
Sous la grande pyramide, un petit
cenote, un deuxième au Sud et, au Nord, plus ou moins aligné avec les autres, le grand
cenote sacré aux eaux vert turquoise :
Des jeunes filles couvertes de bijoux y auraient été sacrifiées et les Conquistadores en auraient récupéré les richesses...
Plus à l'Est, la
place aux mille colonnes :
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