Que ta volonté soit fêteSSS !

 Les Mexicains sont sans doute l’un des peuples du monde qui travaille le plus : jusqu’à l’élection de l’actuel président Lopez Obrador, les travailleurs n’avaient que cinq jours de vacances par an ! Enfoncés, les Japonais… Ce 1r janvier 2023, cela est passé à deux semaines annuelles, ce qui reste peu comparé à nos pays. Et pourtant, d’après des enquêtes internationales, c’est l’un des pays où le taux de bien-être/bonheur/joie est le plus élevé – c’est peut-être même le premier du monde ! Outre les sourires et les rires qui égayent la plupart du temps les rues et les places – surtout dans notre quartier très populaire de Xochimilco – (et qui n’empêchent pas qu’il y ait aussi de vrais bandidos, comme un peu partout), le sens de la fête très marqué ici est, je crois, directement associable à ce très fort indice de félicité.

Et des fêtes, Dieu qu’il y en a !

Dans ma chinampa, c’est quasi toutes les semaines une ou deux fêtes privées dont on partage les musiques jusqu’à deux ou trois heures du matin (les rythmes latinos me bercent souvent et je m’endors avec, boules Quies à l’appui tout de même).

Mais il y a aussi le rythme plutôt effréné des fêtes officielles. Après les très grandes et longues festivités autour du Día de Muertos, pas même trois semaines de répit avant que n’arrive, le 20 novembre, la fête de la Révolution (je suis allé passer deux nuits sous la tente, un peu loin des explosions et défilés en tous genres) ; puis cela a grimpé en intensité en s’approchant du 12 décembre et de la commémoration de la Guadalupita, la Virgen de Guadalupe patronne du Mexique ; pour culminer avec Noël et les jours qui le précèdent : au palmarès des pétards et des feux d’artifice, ce fut la totale, avec des explosions enregistrées de 6h20 le matin à 2h du matin…

L’Église catholique a introduit ici la tradition des Posadas (auberges) :  une neuvaine de prière et de réjouissances précédant Noël. L’idée, c’est de faire en quelque sorte réparation des aubergistes qui laissèrent Jésus naître dans une étable et de l’accueillir chez soi un soir ou chacun des neuf soirs. Concrètement, c’est une statue du Niño Dios qui arrive à grand renfort de procession d’une des innombrables chapelles, entre 18h et 20h pour les versions les plus simples : on dit alors le chapelet, les enfants (los peregrinos) font un petit parcours en transportant, telle l’Arche d’Alliance, une mini crèche, on se jette des confettis et on allume bougies et bâtons d’étincelles, on redit quelques prières, puis c’est la distribution de petits paquets de cacahuètes agrémentées de friandises et le partage du ponche (« ponché »), boisson chaude faite de la cuisson d’une ribambelle de fruits divers (l’alcool est prohibé).  Mes voisins d’en face ont fait leur Posada tous les soirs et m’ont invité à me joindre à eux et à leur quarantaine d’invités : simple, très beau et fraternel (c'est la photo à gauche).

Mais il y a quelques stars qui bénéficient de processions en journée avec danse en costumes, musiques et moult pétards, qui sont l’occasion de réjouissances à grande échelle : les rues (s’il y a une chapelle accueillante à proximité) ou les grandes cours des plus fortunés sont alors envahies de tables et tout le monde peut venir y manger. Des décorations aux couleurs des centaines de fleurs assemblées et collés sur de superbes supports annoncent ces rencontres, parfois recouvrent des façades ou créent des arches dans les rues : les Mexicains ont vraiment l’art du beau, du joyeux et du coloré – c’est directement un héritage amérindien. Je me suis joins à l’une de ces Posada dans le proche voisinage : elle a commencé vers midi par une messe suivie d’un repas (accompagné en direct d’un groupe de musiciens) où il y avait place pour bien trois-cents personnes (j’y ai fait la rencontre d’une famille très sympa), s’est poursuivie le soir par le retour en procession de la statue du Niño dans son église d’origine (là, ce fut le même programme que chez mes voisins), puis conclut par une fête à très fort volume sonore dans la cour de midi. La star des stars, parmi ces statues du Niño, c’est le Niñopa (l’enfant du peuple lit-on sur le net, mais cela ressemble quand même beaucoup au Dieu Pan ou au Padre, le Père…). Il est transporté en voiture privée (la statue est du XVIe siècle et est restaurée tous les ans), puis chemine sous de grands parapluies ou des tissus tendus à bout de perches, et donne lieu à un délire de dévotions…

Mon jour de Noël fut particulièrement riche. Le premier vrai cadeau, ce furent les regards plein de joies, parfois les abrazos de quelques personnes très pauvres du quartiers pour lesquelles, avec mon ami Ricardo, nous avions organisé la distribution du meilleur repas que je connais ici : les chiles en nogada. Puis je suis allé à une comédie musicale inspirée de Dickens offerte par une Église protestante coréo-mexicaine : excellent thème pour Noël (un riche avare et aigri voyage dans son passé et son futur et comprend qu’il s’est fait avoir par l’argent : il change illico de cap). À la sortie, l’un des pasteurs me happe et me propose avec douceur de rester pour le repas communautaire, occasion d’un superbe échange en profondeur sur la dynamique des Évangiles – j’ai appris plein de choses, lui aussi m’a écouté, nous sommes sortis grandis de tout cela, avec pour moi le goût d’aller au culte de temps en temps. Mais pour l’heure : filer à la messe de 22h à la cathédrale de Xochimilco. J’y arrive au moment où le Niñopa est sorti de sa voiture et est accueilli par une haie d’honneur et une avalanche de feux d’artifice. Vivaldi, Handel et Bach sont invités à la célébration, qui dit mieux ? En arrivant vers minuit, c’est toujours la fête chez les voisins : on m’accueille bras ouverts, occasion de sceller une réconciliation à coup de tacos, de tequilla et de ponche avec l’un d’eux suite à un malentendu deux mois plus tôt. Un Noël qui a du sens, décidément…

Le top ten des chants de Noël à Xochimilco : une chanson pour enfants aux paroles presque absurdes (« Regarde comme boivent les poissons du fleuve en voyant Dieu naître »), reprise des Posadas aux messes de la cathédrale. Mon coup de cœur !

Une anecdote qui ne peut que faire rire un Français : le 24 décembre, presque tout le monde avait sous le bras un grand pain (ou plusieurs). Dans la plupart des boulangeries, mes petits gâteaux quotidiens avaient disparu au profit de « baguettes » fièrement annoncées sur les devantures (rebelote pour la nuit du 31). 

Au milieu des Posadas, j’ai aussi été invité à une fête mêlant Mexicains et étrangers (dont des Gringos : j’ai accepté de parler un peu anglais…), avec des personnes aux expériences hors-normes (ce jeune par exemple ayant fait avec bonheur trois semaines de stop en… Chine !) et une très belle ambiance ; convié aussi à une soirée avec un petit groupe de Doble A (les Alcooliques Anonymes) – autour d’un feu, nous avons dansé, mangé, bu du sucré, chanté, fait griller des chamalows et beaucoup rigolé. Je me suis senti étrangement bien avec cette petite équipe, comme en famille. 

"Ton pire ennemie n'est pas celui qui t'a fait du tord, c'est toi qui te répète ce tord mentalement des milliers de fois."

J’ai retrouvé ce sentiment d’être avec les miens le 30 décembre : mon ami Ricardo, 56 ans dont vingt passés dans la rue, la drogue et l’alcool, est venu donner son témoignage devant une petite assemblée – deux heures d’intervention de haut vol sans une note, où on passait en deux secondes des larmes aux rires, de la voix tonitruante au chuchotement, de la tête au cœur (Ricardo ne le sait pas, mais c’est un excellent acteur). Cela s’est prolongé par un repas partagé, où fraternité et amour étaient palpables. Les Doble A ont trempé leurs vêtements dans le sang de l’Agneau comme l’écrit Jean dans le Livre de la Révélation, ils ont connu l’enfer et en sont sortis. Quel cadeau que de pouvoir les rencontrer et d’être accueillis parmi eux…

Avec Ricardo, au petit matin de mon départ (je lui laisse mon gros sac pour voyager léger)

Pour le 31, Ricardo m’a invité au sein de sa famille de chair, avec ses enfants, son ex-femme et ses parents. En famille, encore…

Jamais de ma vie je n’ai été autant invité… On doit bien s’entendre, eux et moi…  Merci !


Les deux minettes qui m'ont adopté (dont celle des voisins du bas, qui a été abandonnée après avoir été ficelée deux mois et demi) : boulimiques de caresses (enfin ! un vrai retour à la vie pour elles), et des rares nourritures que j'ai pu leur partager. Elles sont venues me dire au revoir ensemble (alors qu'elles étaient un peu jalouses l'une de l'autre jusque-là) le matin de mon départ. Je les aimes beaucoup !

Coucher de soleil sur l'un des monts entourant México

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La TUNISIE sans concessions, saison 3 : ombres et lumières, thérapies et Evangiles, mensonges et ouverturfois es

Le BÉNIN : bénie surprise !

BÉNIN : un GLOBAL UNDERSCORE historique