Bobby, Franck et David: des années de fidélité qui voyagent au Mexique

 J’ai été bouleversé en 2009, en pleine fin de thèse, par le téléfilm Bobby seul contre tous. De très mauvaise facture d’un point de vue cinématographique, il donnait néanmoins l'occasion d’entendre des passages du journal de ce jeune qui, à 20 ans, s’est jeté sous un camion pour en finir avec les combats et les déchirements que lui infligeaient la confrontation entre son orientation affective et sa foi et surtout celle, intégriste, de sa mère Mary. Bobby comme moi faisait des rêves dans lesquels il s’envolait, j’ai senti un frère d’étoile en lui. Mais ses rêves ont fini par se prendre dans des fils électriques (les miens finissent toujours de manière très sereine, par un bon atterrissage sur Terre). J’ai acheté le livre d’origine Prayers for Bobby, et j’ai vite eu la conviction profonde qu’il allait falloir le traduire pour donner accès au public francophone, en particulier chrétien, à ce témoignage d’une utilisation perverse de la Bible, et d’une résurrection d’une mère qui, par un amour trempé dans la violence extrême du suicide de son enfant, s’est libérée des servitudes issues de son éducation et des tromperies d’institutions religieuses – un témoignage, en définitive, de la puissance libératrice des Évangiles : Mary a été acculée à chercher le Royaume au-dedans d’elle-même – c’est très précisément l’invitation de Jésus.

Mais la tâche était immense (270 pages à passer en français !), et mon anglais bien pauvre… David est arrivé comme un cadeau. Voisins à Grenoble, gamins du caté, copains au collège et au lycée, nous nous étions perdus de vue depuis des années. J’ai reconnu sa grande silhouette en 2009 parmi les spectateurs de l’une des Créations Civiles du chorégraphe Pierre Deloche sur la place des Terreaux de Lyon dans laquelle je dansais (que j’ai bien fait alors de faire autre chose que ma thèse !). Au bout de quelques rencontres grenobloises autour d’un verre, je lui parle du projet : il embarque avec enthousiasme et traduit illico le premier chapitre de deux pages. À lui tout le narratif, à moi les passages des journaux intimes de Bobby et des écrits de Mary. Le livre et le petit carnet où je faisais mes passages en français (je reprends une expression de mon ami en Delsarterie Alain Porte, plus juste que « traduction » je trouve) m’ont suivi aux Canaries, au Québec et au Brésil. Jusqu’à ce qu’à la mi-novembre 2021 je me décide à passer tout cela sur Word afin de pouvoir l’envoyer à David. Mon premier accident de vélo le 22 du même mois m’a dégagé du temps… Mon second accident pour les Rois (6 janvier) 2022 a transformé l’essai. Cela tombait à pic : David s’est trouvé être plus disponible qu’il ne l’avait jamais été jusque-là.

Nous parlions parfois de déguerpir de nos sociétés tristes et anxiogènes, envahies par les délires covidistes, rêvant éventuellement de finir notre travail au Mexique, un des rares pays où nous pouvions encore nous rendre sans se faire injecter des produits que nous sentons très dangereux… Et voilà que fin juin je signais un contrat pour Mexico ! L’élan était donné, David s’est organisé cinq bons mois au Mexique, histoire d’avoir un peu plus chaud que dans le « monde premier » (comme on dit ici) lors d’un hiver promettant d’être rude à tous les niveaux.

Depuis la mi-octobre et son arrivée, nous avons eu la joie de remplacer nos séances de travail téléphoniques par des rencontres en chair et en os. Et pour joindre l’utile à l’agréable, nous avons à chaque fois choisi des lieux beaux et remarquables : le CENART ; la Bibliothèque nationale de l’UNAM ; la Cinemateca Nacional de México (dix salles de cinéma, une bibliothèque, des salles d’exposition, des restaurants et des boutiques spécialisées, une façade conçue pour pouvoir devenir un immense écran pour des projections nocturnes en plein air, un jardin, des patios…) ; 



et pour finir, la veille du départ de David pour le sud du pays, la splendide et ultra-moderne Bibliothèque Vasconcelos : moins grandiose de l’extérieur que la Bibliothèque Mitterrand (la Très Grande Bibliothèque de France, oh !) mais infiniment mieux conçue. Sur les quais de Seine, on a dû tout reprendre car on s’est « rendu compte » que des milliers de particules de lumière sur des milliers d’ouvrages conservés près des fenêtres, ce n’était guère indiqué pour les livres et les manuscrits… 



Dans la Bibliothèque Vasconcelos, les salles de travail réparties en périphéries des cinq niveaux donnent sur un immense espace central au milieu duquel les livres sont comme en suspension dans des rayonnages en acier. C’est splendide, et en plus on prend le soleil en travaillant ! On sent ici l’intelligence de la vie…

Nous avons donc fini la première séquence de notre travail commun, qui a duré quasiment un an, précédé par douze années  de persévérante préparation. Allons-nous terminer les indispensables relectures avant la fin mars et le retour de David en Europe ? Et trouver un éditeur ? Suite dans les mois qui viennent. En attendant, c’est une profonde gratitude qui nous habitait l’un et l’autre au soir du 14 décembre… Et en rentrant de nuit à Xochimilco sur mon vélo, une pensée m'a traversé : la version française sera meilleure que l'américaine... Merci !

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