Día de Muertos : jour J
Je suis retourné à Mixquic pour le jour des défunts, le Día de Muertos proprement dit (bien m'en a pris, les cimetières du centre-ville ont fermé avant la nuit, loin de toute la tradition).
Gabriel m'avait encouragé à revenir et à camper sur place.
Il m'avait aussi dit qu'il était possible de visiter les autels familiaux en toquant aux portes, et qu'alors on me donnerait sans doute un petit quelque chose à grignoter... Voilà beaucoup de motifs de revenir à Mixquic !
Et il a dit juste : j'avais tenté la veille sans succès de récolter quelque pitance en poussant la chansonnette devant une maison qui m'était restée fermée (j'ai quand réussi plus tard à gagner une belle tête de mort en chocolat avec un air de Carmen...) ; ce 2 novembre, on m'accueille, me montre et m'explique le somptueux autel de la famille, et on m'offre le meilleur et le plus gros Pan de Muertos que j'aie dégusté, fait maison avec des noix et beaucoup d'amour (ça commençait bien : j'avais vraiment oublié tous mes deniers à la maison et ne pouvais compter que sur la générosité des familles pour manger ce jour-là...). Cerise sur le gâteau, le père Juan José me montre quelques pièces archéologiques trouvées au hasard de ses promenades dans les champs :

Mais direction l'église et son cimetière. Et là, une expression s'impose à moi :
" C'EST UNE FOLIE DE BEAUTÉ !"





Des tombes dans la grande majorité des cas très très simples : de la terre, parfois entourée de parpin... Et ils en font des temples de beauté et d'amour !
Même avec presque rien on célèbre la vie (des fleurs entourées de six pousses d'arbre) :

Une fois, il faut bien quelques os pour contraster :
Ailleurs, le défilé des émerveillements continue :
Le soir, avec la nuit, c'est devenu quasiment impossible de circuler tant il y a de monde, entre les familles venant sur les tombés dire au revoir à leurs invités, et les touristes accourus du monde entier. Car le dernier soir, celui du 2, c'est la despedida, le moment des adieux, que l'on appelle aussi l'ALUMBRADA ("l'illumination").
Il règne dans tout le cimetière une atmosphère intense, où se mêlent la folie costumée et joyeuse des jours précédents, et une chaude atmosphère spirituelle et émotionnelle, parsemée d'encens de résines naturelles enivrant la vue et les poumons, de bougies et lumignons en tout genre et de prières chantées ou récitées.


Je finis par me réfugier sur la tombe la plus proche de l'église. C'était la bonne adresse.
Je suis vraiment accueilli très chaleureusement, comme en famille, par Itzel de la Cruz, Fernando de los Rios, leurs deux filles, et Natalia, la maman d'Itzel. Nous sommes avec le mari et le fils mort à la naissance de Natalia : ils vont les veiller pour leur dire au revoir jusqu'à 2 ou 3 heures du matin ! Je partirai avant, pris par le froid...
Très vite, Itzel m'offre un de ses délicieux tamal à la viande (préparation à base de farine de maïs entourée d'une feuille de maïs), puis un tamal au chocolat, puis une viennoiserie de saison, puis une orange (je finis par refuser un dernier tamal, je suis vraiment repu - excellente expérience d'être venu dépouillé et d'avoir été comblé... au physique comme au moral).
Et elle me conte les rituels de la mort ici : une fois le corps du défunt sorti de l'hôpital (c'est le plus fastidieux, administration oblige), il est ramené à la maison, où une première messe est célébrée ; durant trois jours, on vient visiter la famille, et c'est repas offert aux visiteurs chaque soir ; neuf jours plus tard, deuxième messe à l'église et nouvelles festivités. Puis le mois suivant, nouvelles festivités. On est à des années-lumière des horreurs actuelles de chez nous : les corps détruits en quelques heures dans les fours crématoires modernes... Violence absolue pour les proches...en tout cas selon ma sensibilité.
Ici au Mexique, on prend le temps de se séparer, d'entrer dans le deuil, de se retrouver, de se quitter à nouveau... La vie et la mort se tressent l'une avec l'autre, se parent de couleurs et de mouvements.
Mon Dieu, comme je me sens mieux ici que chez nous !...
Cette nuit de veille sur la tombe de la famille De la Cruz a été pour moi comme une Noche buena, une nuit de Noël...
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