Des louves et des vices
J'aurais aussi pu appeler mon mois de recherche de logement à Mexico "Danse avec les louves", mais cela aurait été trop gentil...
J'ai rapidement été séduit par les azoteas, ces toit-terrasses où certains habitent (avant, on y logeait le petit personnel des apparts bourgeois) : le grand air, la vue parfois, la relative tranquillité (le plus précieux) - j'aurais été près à une cellule monacale pour un peu de silence -, et de la place pour danser.
Parfois la vue : j'ai failli m'installer tout en haut d'un immeuble baroquissime, séduit par la beauté des gratte-ciels du centre-ville - les aboiements du boxer de la voisine et le bruit infernal remontant des trois boulevards entourant le pâté d'immeubles m'en ont dissuadé... et puis il fallait se taper un contrat de huit pages et avoir un garant !
Pas d'azotea en vue... j'ai filé chez Claudia pour un mois, séduit par l'harmonie de son petit studio parqué qui servit quelques années aux adeptes d'Hare Krishna.
En quittant l'accueil de Fred, j'avais abandonné le bruit jour et nuit d'un boulevard à double files. Ici, j'ai découvert la joie d'être entouré de chiens aboyant de 6h du matin à 24 ou 25 h, sans filtre : toutes les fenêtres donnent sur la rue, en simple vitrage... J'ai ainsi baigné dans les cris des vendeurs ambulants couvrant une cantate de Bach, ou les conversations des passants days and nights faisant valser mon sommeil ou mes tentatives de temps d'écriture, découvert les appels à la cloche pour venir porter ses déchets aux camions poubelles, apprécié les sirènes de la police et des voitures sensibles etc. Le parc de Chapultepec, à deux pas, a été mon refuge durant tout ce mois, mais cela avait ses limites...
J'ai pu mesurer la souplesse de Claudia, qui a eu un petit béguin pour moi et qui, du coup, m'a loué de façon très simple son espace pour un mois en me l'équipant d'un lit, d'un bureau, de quelques ustensiles pour manger, de savons etc. L'idéal pour y danser les lettres hébraïques chaque jour.
Puis j'ai vécu l'enfer des agences de location. Outre le harcèlement par courriels et le système affolant de l'arrivée de trois propositions nouvelles quand on ne fait que chercher le contact d'une annonce, j'ai eu deux expériences édifiantes.
La plus glauque : suite à une annonce d'un superbe appart meublé au cœur de Coyacan, un quartier génial du sud de la ville, avec un jardin et pour un prix plus que raisonnable (5000 pesos = 250 euros), prise de RV. La veille du RV, je reçois un lien de confirmation avec l'adresse...et vois que c'est plus loin que je ne croyais - j'avais dû mal regarder... Une nuit et deux heures de vélos plus tard, j'arrive au pied de la montagne au sud de la conurbation : ce n'est pas la photo de l'annonce, ce n'est pas l'appart de l'annonce (pas meublé), c'est juste environ le prix annoncé... Qu'à cela ne tienne : l'agente immobilière a justement un beau logement meublé à l'étage supérieur, pour 9000 modestes pesos ! Après appel à l'agence (Homie soit qui mal y pense), l'appart d'origine aurait été loué entre temps. Selon deux avocats que je retrouvent parfois dans l'une de mes cantines du quartier de Chapultepec, l'annonce d'origine était un faux (trop peu cher pour le lieu) : une arnaque. Le triste reinado du dieu fric. BANDITOS!
La plus violente: une agence (Benvi, ben niaise), après une semaine de contact autour d'une annonce et la prise de RV, me rappelle et m'annonce qu'elle ne...travaille pas avec les étrangers ! Un coup dans l'égo du Français qui pensait qu'avec ses euros, il passerait partout. Mais surtout un racisme ségrégationniste qui m'a coupé le souffle : le motif de ma recherche d'un poste à l'étranger après l'élection présidentielle a été de vouloir fuir la perspective de revivre les neuf mois de ségrégation "sanitaire" savamment organisés...et je retrouvais ici la même horreur. C'est le seul moment depuis mon arrivée où j'ai pensé rentrer au pays.
Du coup, je me suis rabattu sur les annonces de particuliers à particuliers, et là, ça a été
La cLOUVE du spectacle !
Elle se fait appeler la señora Tere, se présente comme une fille de prostituée engrossée par un notable et ne devant ses biens immobiliers qu'à sa vie de petits ménages (j'ai d'abord été touché par "son" histoire)... Elle s'est révélée être la pire personne que j'ai jamais rencontrée dans mes recherches de logement.
J'ai eu droit à la demande d'une multitude de documents (mais j'avais bien vu que la plupart des agences en demandent aussi des liasses) et, plus désagréable, à une enquête (une agence demandait bien trois contacts, mais la s.T. s'est débrouillée pour récupérer le téléphone de Claudia sur un document que je lui avais transmis et l'a appelé de manière inquisitrice). Je passe aussi les clauses parfois délirantes (nécessité de fournir un document d'identité pour toute personne venant me visiter, surplus de loyer en cas d'accueil de quelqu'un etc.) Et il fallait payer chaque ampoule (je lui en ai fait enlever une, inutile...), chaque fusible, chaque clé, chaque rideau (de fenêtre ou de douche) : elle m'a fait croire que c'était les habitudes mexicaines, c'est faux, je l'ai appris ensuite. J'ai fini par me dire qu'elle était folle... mais je me suis laissé séduire par son histoire à la Cosette - j'avais en fait affaire à une Thénardier ! - et surtout par le quartier (Xochimilco,20 km au sud du centre, zone écologique humide, bien reliée au reste de la ville), le confort de l'appartement associé à un petit prix et à une azotea.
1r octobre : "contrat" (un bout de chiffon rédigé en petit nègre espagnol) signé (par moi uniquement, en un seul exemplaire en sa possession... j'ai été d'une parfaite naïveté et d'un excès de confiance - "je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, soyeux prudents comme des renards" : j'ai encore à bien intégrer la fin de cet avertissement de Jésus...) ; loyer, caution et les x ajouts payés en liquide ; l'essentiel de mes affaires laissées sur place (je pouvais passer une dernière nuit chez Claudia et ramener mon deuxième sac le lendemain).
2 octobre : coup de fil dimanche matin à 7h45. "Je ne vous loue plus, les alèses pour le lit coûtent trop cher ! Venez chercher vos affaires, rendez-moi mon reçu et je vous rembourse." GLUP !
On a réglé cela le soir dans le style polar : Claudia et Laura prévenues de ma destination et devant appeler police et ambassade si à 21h je n'avais pas donné de nouvelles (je savais la s.T. accompagné de son soi-disant frère) ; la folle me demandant de lui signer un nouveau papier (niet évidemment, et vertement) et finissant par me poursuivre dans les escaliers pour que je lui rende l'unique clé (sur les cinq payées) qu'elle m'avait donnée - mon intuition m'avait prévenue que sans elle je ne pourrais sortir, et effectivement la grille d'entrée était bouclée. L'enragée s'étant jeté sur ma main au moment où j'arrivais à ouvrir, j'ai dû l'aplatir entre la grille et le mur pour pouvoir déguerpir et récupérer mon vélo attaché à l'écart... Occasion de réinvestir un peu du vocabulaire appris avec les chauffeurs enragés d'avoir leur rétroviseur retourné...
J'avais retrouvé mes affaires et mon argent (juste un billet abimé, refusé le lendemain dans un commerce...), mais quel bordel et quelle tristesse humaine !...
Claudia a été extra : après m'avoir proposer de rester au même prix que la location de Xochimilco mais en partageant avec elle et son fils la salle de bain (niet...sauf urgence absolue !...), elle a appelé un ami de Xochimilco et a obtenu que j'aille visiter sur le champ. Mais trop loin (5 km de plus et dans les pentes) ; un tout petit appartement sur une des îles de Xochimilco m'a interpelé, puis j'ai opté pour le moins cher et le plus sobre de ce que j'avais visité auparavant : un espace nu (mais qui fut aménagé entre 22h15 et 23h30), avec un modeste robinet bas sur le palier pour unique point d'eau (froide bien sûr), couvert d'un vague toit ondulé. J'étais arrivé chez Ricardo, sur une autre île de cette Venise mexicaine (beaucoup beaucoup plus populaire que l'italienne...). Une sorte de contrat signé par les deux parties et photographié, la souplesse de pouvoir partir avec seulement un mois de préavis : c'est peut-être l'idéal ?
C'est en tout cas ma dernière tentative à Mexico : s'il y a un nouveau coup de Trafalgar, je m'en vais visiter le reste du pays !
Au milieu de ces bourrasques, quelques lumières : ce qui est devenu une amitié avec Claudia ; le soutien discret mais attentif de Laura ; et une belle rencontre avec Maria Luisa, rencontrée au début de mes recherches.
Maria Luisa louait une chambre au centre-ville. Elle a un covid long et reste persuadée du bien-fondé des injections géniques expérimentales. Apprenant que j'étais indemne de ces saloperies, elle m'a dit que je ne pourrais pas vivre chez elle. Puis nous avons bavardé (elle est actrice mais depuis deux ans ne peut plus rien faire) ; j'ai abondamment joué avec ses trois chats - ou plus exactement, ses chats ont abondamment joué avec moi (je n'en ai vraiment jamais rencontrés de si attachants !) Et en me raccompagnant à la porte, Maria Luisa m'a proposé de louer chez elle ! Mais je ne voulais initialement que pour un mois, elle voulait trois mois minimum. Elle m'a envoyé les photos des copains, et nous restons en lien.
Je suis sorti de cette rencontre avec une intense et douce émotion : il s'était passé quelque chose de profond. Une réconciliation. Un au delà des divisions et des oppositions qui nous ont été inculquées depuis deux ans. Un chemin de communion. Un vrai cadeau du Ciel.
Commentaires
Enregistrer un commentaire